La remise en forme

07/09/2017

Mon mari a décidé de faire régime. Mon époux, mon ours, mon panda a décidé de retrouver son corps d ' athlète et j'ai envisagé très sérieusement de m ' exiler au Canada.

Ça lui a pris d ' un coup, un dimanche matin, alors que nous avions la délicieuse habitude de traîner au lit et d ' y déguster des tonnes de croissants et de pains au chocolat avec une tasse de chocolat chaud. C ' était devenu notre rite, notre moment inviolable, notre récompense après une semaine mouvementée. Dans cet océan de calme, de volupté et de miettes qui grattouillaient, nous refaisions le monde. Et nous prenions chacun au moins 750 grammes qui se dirigeaient directement vers les courbes déjà bien arrondies que nous avions sculptées avec amour depuis notre mariage.

Ce matin- là, alors que, toujours dans un demi sommeil, mon nez frémissait de la perspective du parfum enrobant du chocolat chaud, j' ai senti la couette se soulever. A moitié découverte, j' ai frémi sous l ' air frais caressant mon corps prêt pour les gourmandises sucrées. Que se passait il ? Un signal d ' alarme sonna dans mon ventre, le premier concerné par le rituel dominical, et j' ouvris un oeil. Puis deux. Ou plutôt je les écarquillai tellement qu ' ils auraient pu sortir de leurs orbites et me laisser aveugle à tout jamais.

"Qu ' est ce que tu fais ? Que se passe-t-il ?" Ma voix trahissait l'inquiétude et l ' incompréhension de ne pas vivre le moment tant attendu. Mon mari me regarda en souriant et j'ai vu la joie et la fierté sur son visage. Quand j'eus récupéré un peu plus mes esprits, je me redressai sur mon oreiller et le détaillai des pieds à la tête. "Oh bon sang! Mais qu ' est-ce que c ' est que ça ?"

L'homme de ma vie, rayonnant comme une boule à facettes version xxl, était vêtu de baskets plus blanches que blanches (les regarder plus de deux minutes aurait entraîné, c ' est certain, une destruction totale de la rétine), de chaussettes de tennis tout aussi immaculées et d ' un short moulant en lycra orange et bleu électrique (je me suis demandée ce qui était le plus dramatique: les couleurs qui avaient dû être choisies par un créateur daltonien - ou complètement ivre - ou la matière collante qui enrobait ses cuisses et ses fesses. « J' espère que le pourcentage d ' élasticité du lycra n ' est pas une publicité mensongère, me suis je dit, sinon il va vite se retrouver tout nu ») .

Le summum de cette vision fut sans nul doute le tee-shirt ... Comment décrire le flegme, que même un britannique aurait eu du mal à garder et dont j' ai miraculeusement fait preuve en lisant sur son ventre rebondi : "Restez calme, je suis un athlète " ...

"C ' est décidé, je vais courir ! J' irai tous les jours avant de partir travailler. Je veux retrouver la forme! " Il était si sérieux en disant ces mots que je me mordis les lèvres pour cacher un sourire dont j' aurais été incapable de retirer toute moquerie. "Mais ... euh... et les pains au chocolat ...? " murmurai- je câlinement, tout en découvrant stratégiquement ma poitrine . Je me suis dit : "mets toutes les chances de ton côté, au cas où l ' évocation des viennoiseries ne fonctionne pas, il ne pourra résister à l ' afflux de phéromones".

Et bien, il résista à tout désir qui l ' aurait fait dévié de sa détermination (là je dois dire qu' il m ' a épatée, lui qui a plutôt tendance à croquer dans toutes les bonnes occasions de la vie d ' habitude. Un bon repas, un verre de vin, un approfondissement du kamasutra, il dit toujours oui)
"Pas ce matin ma chérie, reste couchée, je vais courir une heure et je reviens près de toi"
Une heure ? Si je n ' avais pas été allongée je serais tombée de stupéfaction. Une heure alors qu' il tient péniblement trente minutes lorsqu' on se promène lentement sur une plage en vacances ?
Bon d'accord, la plage c'est le sable, et qui dit sable dit effort plus grand que sur le sol ferme. Mais quand même ... une demi-heure ... La dernière fois, il a réussi à avoir : 1, des crampes, 2, une piqûre de coquillage (la coquille était vide, j'ai vérifié), 3, un point de côté (les vacanciers ont certainement cru à une crise d'appendicite aiguë, il hurlait « mamouuuuur j'ai maaaaaaaaaaal » et ça devait s'entendre jusqu'en Angleterre.)

Mais bon, qui sait, je lui laissai le bénéfice du doute, il y a peut être un truc magique dans le lycra et ses jambes vont avancer toute seules ... Je me concentrai et souris avec admiration (j' allais bientôt pouvoir changer de carrière, la porte du cinéma s ' ouvrait toute grande devant mon talent d ' actrice) "Je suis fière de toi, à tout à l ' heure, je ne bouge pas, je t' attends" Lui donner la promesse d ' une récompense ne peut lui faire de tort, avais-je décidé, ce sera ma contribution à ce jour mémorable » .je ne pouvais imaginer qu' il se reproduirait une deuxième fois.

Restée seule dans la chambre désertée par le futur Usain Bolt, je résistai à l ' envie d ' aller l ' observer par la fenêtre et je me pelotonnai sous la couette avec un livre. Je commençais à avoir faim mais j' avais encore l ' espoir qu ' il rentrerait avec mon petit déjeuner préféré et je pris la décision de patienter.

Un quart d ' heure plus tard, treize minutes exactement, j' entendis la porte claquer et les marches de l ' escalier grincer. L' éventail des possibilités ayant provoqué son retour prématuré étant assez vaste (besoin urgent et difficulté à se dégager du lycra, oubli du gsm pour chronométrer son exploit et compter ses pas, crise d ' hypoglycémie (on ne rigole pas avec l ' habitude des pains au chocolat)), je me préparai à toutes les éventualités. Toutes, non... J' en avais oublié une ... Et une de taille, elle allait bouleverser nos vies pendant 2 jours .

« J'ai fait le tour du quartier ! » Mon mari sautait sur place, triomphant. Son visage était plus rouge que lors de l'accouchement de notre fille Charlotte. Ce jour-là il poussait pour moi et sa version de la respiration du petit chien contenait plus d'inspirations que d'expirations. Il a fait peur à tout le staff hospitalier avec la couleur aubergine qu'il a gardée toute la soirée.
Je quittai mes souvenirs pour revenir au présent. Mon mari était à deux doigts de suffoquer mais il resplendissait de joie. Je me retins de faire une remarque sur son état proche de l'apoplexie et je lançai un « super !!! » enthousiaste. J'étais réellement admirative, je découvrais un autre homme sous sa carapace dodue. Mais bon, j'espérais et je pensais qu'on en resterait là et qu'on retrouverait notre rythme de croisière « câlins et amuse-bouche ».

« Demain je remets ça ! Et je vais faire quelques exercices de remise en forme pour pouvoir m'inscrire au centre de fitness ». Au plus il exultait, au plus je me ratatinais sous la couette.
Mais même si j'avais soudain peur de voir mon homme se transformer en un Schwartzenegger body-buildé se nourrissant de carottes et prenant toute la place dans le lit, j'étais quand même curieuse de voir la suite des événements.

Ce qui ne tarda pas. Après une douche qui dura le temps de trois chansons de U2, il décida de se nourrir sainement ( il a  chanté tellement fort que le ciel a pris une drôle de couleur, comme avant un orage violent).
Adieu croissant, chocolat, frites, fondue et bananes flambées ... Je me mis à craindre qu'il ne me dise de l'accompagner dans ses efforts, ce dont je n'avais pas la plus minuscule envie.

Plus motivé que jamais, il entama une fouille archéologique dans les armoires de la cuisine et trouva enfin ce qu'il cherchait : un appareil pour faire des smoothies que nous avions reçu lors de notre mariage et que nous avions laissé dans son emballage sans même avoir regardé ce qu'il y avait à l'intérieur. Je me demande encore si celui qui nous l'avait offert estimait que nous avions besoin d'un bon régime ou s'il avait suivi les conseils d'une vendeuse au corps exempt de toute masse graisseuse.

Je lui tendis une paire de ciseaux pour qu'il coupe le papier collant et il ouvrit le paquet. Plus que dubitative, je pensai que nous n'avions que des raisins noirs pour confectionner ce smoothie et que ça risquait d'être un peu léger mais je ne dis rien. Le regardant lire la notice les sourcils froncés, je m'attardai sur le mot « smoothie ». Celui qui a décidé de garder le mot anglais devait avoir une fibre sadique. Comment prononcer ça avec dignité ? Soit on opte pour Smoussssie, ou smouttttie, et tout le monde se rend compte que notre niveau d'anglais n'a jamais été plus loin que le dessin animé pour les maternelles « Mickey is my friend », soit on se la joue Hugh Grant avec détachement et on se coince la langue entre les dents en crachotant...

L'appareil posé sur la table, le sportif tout neuf entreprit d'éplucher les raisins.  Il était indiqué sur la notice: « enlever la pelure des fruit ». C'est long d'éplucher des raisins, très long ....
« Chérie, tu veux bien m'aider ? »
Je n'en avais pas vraiment envie mais je le rejoignis dans son dur labeur. Il transpirait. Je me retenais de rire.

Les raisins nus furent placés dans le réservoir avec la bonne quantité de lait et il appuya sur le bouton. J'eus juste le temps de me reculer, la table et le sol de la cuisine furent en un rien de temps recouverts d'une couche blanche parsemée de points mauves. Je ne pus maîtriser un éclat de rire et il me fusilla du regard. « Cette machine est une arnaque ! » Mon ventre était secoué des spasmes du fou rire contenu.
« Il va falloir tout nettoyer maintenant », osai-je dire, tout en pensant « le vrai sport va commencer, est ce qu'il va mettre son tee-shirt et son short en lycra ? » Devant son regard aussi noir que le ciel depuis U2, je me réfugiai dans la salle de bain où je pus rire tout mon saoûl, le bruit couvert par l'eau remplissant la baignoire. 

Le lendemain il pleuvait et il décida de ne pas sortir (sportif oui, mais uniquement quand le temps s'y prête). Je ne dis rien. Il enfila sa tenue et alluma la télévision. J'imaginai Usain Bolt devant un épisode de Game of Thrones... Il prit ensuite une liasse de papiers imprimés et je jetai un oeil par dessus son épaule. Je vis des photos d'hommes faisant des exercices de gymnastiques dans toutes les positions possibles et imaginables. C'était donc ça qu'il faisait sur son ordinateur alors que je le pensais en train de jouer à Super Mario. Il faisait une provision d'idées pour sa grande transformation....  Musclor était un self made man .

La première position s'appelait la planche et je le regardai s'allonger sur le ventre.
« Je dois tenir 30 secondes » me dit il fermement.
Je m'assis, prête à compter les secondes, un verre de vin rouge à la main (Je n'étais pas prête à abandonner ce qui était bon, même par solidarité).
30 secondes ça devait durer ... ça n'en a même pas pris une avant qu'il ne s'écroule en émettant un râle. J'en ai recraché la gorgée de vin que je venais de boire, je me suis levée d'un bond pour qu'il ne me voie pas et je suis allée à la cuisine cacher mon fou rire.

Bizarrement j'ai retrouvé ce soir là le tee shirt, le short et les chaussettes dans le tiroir de la commode, lavés, repassés, pliés. Je n'ai pas posé de question.

Le jour suivant, nous étions mardi mais il s'est levé plus tôt pour aller acheter des pains au chocolat et des croissants. Nous n'avons jamais reparlé de ses deux jours d'entraînement olympiques et j'ai profité encore plus de ses épaules confortables.

Je me demande si ce n'est pas moi qui ai le plus bénéficié de ses jours de remise en forme. Les fous rires avaient endurci mes abdominaux, je pouvais les sentir à chaque respiration . Finalement ce serait bien qu'il recommence ...