Eglantine

07/09/2017

Un signal d'alarme clignota, vibra, hurla dans ma tête.
Attention, danger !!! Attention, danger !!! Attention, danger !!!
C'était une alarme puissance mille et non un bug dans mon cerveau, le danger était juste en face de moi !

Forcément grande, forcément mince, encore plus forcément blonde, ma nouvelle voisine fraîchement arrivée me souriait de ses dents parfaites, là, juste devant ma porte.
« Bonjour, je m'appelle Eglantine (foooorcémeeeent ! pensais-je, elle n'aurait pu s'appeler Georgette ou Plectrude, foooorcément !! »

Je bouillonnais intérieurement, il n'avait fallu que 30 secondes pour mettre le feu à mon système de défense. (Dans quelques instants, la fumée va sortir par mes oreilles et des éclairs ultra puissants surgiront de me yeux et tu seras désintégrée ! )

« Bonjour, lui répondis-je avec un sourire (Dieu que c'était dur de rester stoïque )
« Je suis votre nouvelle voisine (je l'avais bien compris ma grande, je t'ai vue sortir de chez toi il y a 5 minutes à peine et tu m'as fait signe. Pour être blonde, tu es blonde ! ) »
« Enchantée de vous connaître, je vous en prie, entrez » J'avais hésité mais un sursaut de politesse avait supplanté mon envie de meurtre.

Elle me précéda dans le couloir et je pus observer les détails de sa tenue. Un tee shirt forcément moulant, une jupe évidemment encore plus moulante (elle ne doit pas avoir suivi les Reines du Shopping. « Un seul vêtement moulant » a dit la reine Cristchina, le haut ou le bas ! Aucun style cette fille !). A ses pieds des sandales à talons si hauts qu'avec eux j'atteindrais sans peine l'étage supérieur de la bibliothèque, là où mon mari pose son chocolat pour que je ne lui mange pas.

Mon mari ! Je regardai ma montre. Ouf ! Il ne sera pas là avant 1 bonne heure, j'ai le temps de faire comprendre à Georgette que nous étions infréquentables. Oui « Georgette », pas moyen de l'appeler Eglantine, un danger ne pouvait pas porter un joli prénom.

« Un café ? Un thé ? Du jus de fruit ? ». Je lui indiquai un fauteuil et attendit qu'elle s'installe pour avoir sa réponse. Ses fesses serrées dans la jupe de 3 tailles trop petite s'étaient posées sur le rebord du fauteuil, comme si elle risquait d'être avalée par les coussins si elle se reculait au fond. Il allait falloir la jouer finement et redoubler de grâce pour prendre place sur le divan. Je ne voulais pas avoir l'air de manquer de raffinement. Elle se tenait si droite qu'on aurait dit que sa colonne vertébrale était en acier. Je savais déjà que mon nerf sciatique allait se rebeller mais je rejetai cette idée.

« Un thé s'il-vous-plaît »
« Sucre, lait ? » Elle mit quelques secondes à réfléchir (elle ne sait pas ce qu'est le sucre ou elle a oublié ce qu'elle fait d'habitude ? Elle ne doit décidément pas avoir toutes ses facultés. Je jubilais, je descendais d'un cran dans l'échelle du danger. Pas d'intelligence = de plus grandes chances que mon mari perde de l'intérêt)

Un éclair de lucidité me fit réaliser que j'avais une peur bleue que mon mari ne tombe sous le charme de Miss voisinage et ne m'abandonne, moi sa femme depuis 10 ans maintenant, pour vivre en face, mains posées sur les courbes de la mini jupe d'Eglantine.
" Ni sucre ni lait, merci."
Je courus vers la cuisine (surtout ne pas perdre de temps, il ne reste que 50 minutes) et préparai le thé tout en me lançant dans un discours qui sonnait plus faux que celui du nouveau président des Etats-Unis.

« Je suis ravie de vous rencontrer, avoir une voisine du même âge est un vrai bonheur » Elle leva un sourcil et me regarda attentivement. C'était évident qu'elle était beaucoup plus jeune que moi mais j'avais décidé de lui faire croire qu'elle avait l'air plus âgée et ça semblait marcher. Elle passa lentement un doigt sur son front et autour de ses yeux comme pour vérifier l'absence de rides et l'élasticité de la peau. Elle commençait à douter. Je prenais de la force.

« Nous pourrons organiser des activités tous les 4. Je dis 4 parce que je suppose que vous êtes mariée. » Je croisais tellement fort mes doigts de pieds , mes mains étant occupée à la préparation du thé, que j'en eu une crampe. Je continuai à verser l'eau dans les tasses tout en sautillant d'un pied sur l'autre. Elle ne sembla pas remarquer ma gigue irlandaise, toujours occupée à se tâter le visage.

« Je suis célibataire », répondit elle en souriant. Un poignard venait de se planter dans mon coeur, je perdais tout mon sang, je hurlais silencieusement.
« Ah ? Pas d'amoureux ? Une si jolie femme doit être très entourée » J'évitai à ce stade de me croiser à nouveau les doigts de pieds sinon je risquais de rester bloquée pour de bon et de devoir faire des sauts de kangourous pour atteindre le salon avec le thé.

« Non, personne, je suis libre comme l'air, je fais ce que je veux de mon temps et de ma vie » Elle ne m'avait même pas donné de répit avant de m'apprendre cette merveilleuse nouvelle . Et j'avais bien compris qu'elle faisait aussi ce qu'elle voulait de son corps parfait, le sous-entendu était trop énorme que pour ne pas l'avoir capté.

30 minutes ! Elle devait boire son thé sucré en 30 minutes maximum (j'avais « par mégarde » renversé un sucre dans sa tasse. Des cornes de diable poussaient sur mon front) .
Elle devait avoir regagné sa maison avant l'arrivée de l'homme de ma vie, le mien, celui que j'ai tatoué de mes lèvres et de mes mains.

Assise en équilibre précaire sur le bord du divan, j'entamai un mouvement chaloupé des hanches aussi discret que possible pour ne pas réveiller ma sciatique. (Au pire, si elle le remarque, elle se dira que j'ai pris des cours de danse du ventre et que je m'exerce, ou que je dois faire pipi et que je ne veux pas la laisser seule).
Passant les doigts dans mes cheveux pas blonds et parsemés de mèches grises, je parlai de la pluie et du beau temps tout en me sermonnant (zut de zut ! Je n'aurais pas dû annuler le rendez-vous chez la coiffeuse la semaine dernière ! Tout ça pour regarder le dernier épisode des Feux de l'Amour en plus !Si au moins j'avais regardé Columbo, j'aurais pu noter des idées ...)
Elle me regardait comme si ce que je disais était de la plus haute importance. (Est-ce qu'elle fait semblant d'entendre ou la fabrication des confitures l'intéresse-t-elle à ce point ? )

Je n'arrivais pas à avaler une goutte du thé, l'estomac noué plus fermement que la courroie retenant la grand voile d'un trois-mats.
« Parlez-moi de vous », lui proposai-je avec mon sourire « vous pouvez me faire confiance, ce que vous direz ne sera pas retenu contre vous au tribunal » ».
« Oh vous savez, il y a peu à dire », rit elle doucement. Son rire ressemblait à un grelot. (C'est bien ma veine, mon mari adore Noël ... Elle va lui faire penser aux clochettes des rennes.) Je soupirai, incapable de trouver une parade au doux rire de mon ennemie.
Parce que c'était certain maintenant, elle et moi ne serions jamais amies. Au contraire nous étions entrées, sans qu'elle en soit au courant, dans une guerre des tranchées, et j'étais bien décidée à me battre jusqu'à la mort pour qu'elle ne touche pas à lui !

« Je travaille chez moi en free lance. (Elle sera donc chez elle 24 h sur 24... je devrai prendre congé quand mon mari ne travaillera pas, pas question de le laisser seul.... ) J'eus la vision de mon mari changé en souris emporté dans les griffe d'un aigle blond à longues pattes effilées.
J'ai acheté cette maison pour la revendre dans quelques années, après l'avoir transformée pour faire grimper le prix » (Elle me parut tout de suite moins blonde. Plutôt le style froide calculatrice. Le signal d'alarme se remit en marche et j'eus une bouffée de chaleur )
« D'ailleurs j'aimerais demander à votre mari s'il pourrait m'aider pour certains travaux. Je le payerai bien entendu. Vous savez que la force d'un homme est nécessaire de temps en temps, je ne pourrai pas tout faire toute seule » .
Elle regardait ses ongles tout en parlant et j'y vis la certitude qu'elle n'osait pas me regarder en face parce que ses intentions étaient malhonnêtes. (Nouvelle bouffée de chaleur. J'aurais du prendre des glaçons avec un peu de jus de fruit à la place du thé.)

10 minutes ! Je me levai brusquement et rattrapai la cuiller qui s'était envolée au dessus de la tasse, projetant quelques gouttes de thé sur mon front.
Surprise, elle eut le réflexe de se lever aussi, ce qui me soulagea parce que je me voyais mal la tirer pour la mettre debout. Elle posa délicatement sa tasse sur la table basse, sans renverser ni la cuiller ni une goutte du breuvage (chacun son style, mon mari dit que je suis pétillante et ça lui plaît, elle est bien trop calme).

Je commençais à me détendre alors que nous approchions de la porte quand je vis la clenche bouger. Comme dans un film de cascadeurs, le temps a freiné et la clenche s'est penchée au ralenti. Mon esprit essayait de revenir en arrière pour éviter la tragédie qui commençait mais la clenche avait presqu'atteint sa portée maximale. J'entendais son crissement (elle manquait d'huile depuis longtemps ) comme un grincement lugubre, et j'eus la chair de poule.

« Bonjour Chérie, je suis rentré plus tôt et ... Oh bonjour ! » Mon mari tendait la main vers la cause de notre divorce, tout sourire et les yeux plein d'étoiles.
« Je te présente notre nouvelle voisine. Au revoir Eglantine, merci de votre visite, bonne soirée ». Je dis tout ça d'une traite sans prendre ma respiration, et je la guidai fermement vers la sortie, une main appuyée sur son dos.
« Déjà, émit mon mari, vous partez déjà ? » Je lui écrasai le pied au passage avec dans mon regard confus le message « excuse moi mon amour, je ne l'ai pas fait exprès », et je refermai la porte sur Eglantine avant qu'elle ne puisse répondre.
« Elle devait rentrer chez elle, elle a beaucoup de travail ».

Je mentais comme un arracheur de dents et je ne me sentais même pas coupable. « Il faut ce qu'il faut ! » me dis je. J'eus alors l'idée brillante de confectionner une affiche et de la coller sur la façade de notre maison. En grosses lettres rouges comme du sang, j'écrirai « Il est à moi jusqu'à ce que la mort nous sépare ». Je notai cette idée de génie intérieurement, ça pourra servir.

... à suivre ...