Eglantine (3 -fin)

07/09/2017

Je décidai de la jouer cool et je pris le parti d'éviter l'allée de graviers pour m'élancer directement sur la pelouse, où mon mari maniait la tronçonneuse sous le regard béat d'une Eglantine qui n'avait jamais dû connaître de bûcheron.

Mauvaise idée ... je m'emberlificotai les pieds dans un liseron et je me retrouvai couchée à plat ventre aux pieds de ma blonde voisine.
Je lançai un « bonjour » tonitruant en souriant le plus naturellement possible.
Ses grands yeux écarquillés de stupéfaction (comment, grands dieux, faisait elle tenir ses faux cils ? Je n'avais jamais réussi qu'à provoquer une conjonctivite aiguë en mettant de la colle sur mes pupilles), la groupie de l'homme des bois me répondit « Oh bonjour, comment allez-vous ? » (c'est sûr que c'était la meilleure question à poser... « comme tu peux voir, je vais très bien, j'adooore ramper à tes pieds et me couvrir autant de ridicule que de traces d'herbe qui ne partiront jamais au lavage ... »)

Attrapant la main que mon mari me tendait, je répondis d'un sourire et je me collai tout contre lui. (en pensée j'établis le bilan : des taches de graisse provenant de la tronçonneuse ont rejoint celles de l'herbe humide. Mon tee shirt prenait un style pointilliste on ne peu plus original. Le Che ne riait pas, je le comprenais)

Les instants qui suivirent furent dignes d'une comédie romantique avec Tom Hanks et Meg Ryan. Je me suis plus ridiculisée en 10 minutes que durant tout le reste de ma vie. Et tout ça sous les yeux de mon mari qui ne savait pas trop s'il fallait rire ou envisager de m'interner.
Eglantine quant à elle est restée très digne, toujours souriante, une sorte de Barbie programmée pour charmer contre vents et marées.

J'aurais pu continuer sur ma lancée pendant des semaines mais tout ça devenait de plus en plus pénible....

Pour être tout à fait franche, je me voyais mal tenir encore longtemps à ce rythme. Je n'en pouvais plus de jouer le rôle d'espionne et de surveillante et la jalousie commençait à me ronger. Je sentais bien que je devenais aigrie et tendue, et mon mari lui même devenait irascible. Notre couple se dirigeait du côté obscur de la force...

Je me sentais perdue. Que fallait-il faire ? Comment éviter que l'homme que je pensais convoité ne soit kidnappé par une blonde, une mini jupe ou une peau bronzée? Y a-t-il une autre solution que le contrôle et la guerre ?
Je me suis endormie ce soir-là avec tellement de questions sans réponse ...

Au petit matin, mon mari est parti à la pêche et, cette fois, je ne l'ai pas accompagné. Je l'ai vu soulagé, même s'il ne m'en a rien dit. Il m'a souri tendrement et a embrassé mon front sur lequel perlaient quelques gouttes de café (j'avais à nouveau fait valser la cuiller en me levant trop vite), puis il est monté dans sa voiture.
Le soleil brillait déjà, la journée allait être douce mais je ne le remarquai pas.

Debout face au miroir de ma chambre, dans le silence entrecoupé par un chant de coq au lointain, je me suis regardée. Le temps semblait s'être mis en pause alors que mon regard se posait sur mon corps, des pieds à la tête, s'arrêtant sur mes yeux...

Et les larmes ont commencé à couler, d'abord lentement, puis à gros sanglots.
J'étais secouée de tristesse. Les mains sur le ventre, respirant avec difficultés, je laissai sortir ce que je retenais sans le savoir.

Le plus gros de la tempête passé, je me fixai à nouveau, les yeux dans les yeux, et ce que j'entendis au fond de moi furent des paroles très dures ... « je suis nulle ... je suis vieille ... je ne suis plus jolie ... »
Je ne pleurais plus, mes longs soupirs emplissaient la chambre.
Et je commençai à comprendre ....

« Il y aura toujours des Eglantine, et je ne peux pas enfermer mon mari....
Je ne peux pas nous protéger, pas comme ça ...
Si je ne réagis pas, si je continue mon offensive anti rivale, il finira par partir parce qu'il en aura assez de m'aimer pour deux....
Ce n'est pas son travail de me rassurer. ... C'est à moi de le faire ... »
Je me parlais tout haut, le silence m'écoutait.

C'est ce moment là que choisit le chat des voisins pour sauter dans la chambre en passant par la fenêtre. Il atterrit sur le livre posé sur ma table de chevet, un roman qui traînait là depuis des semaines, et le fit tomber. « Dehors Spidercat, va t'exercer à sauter dans les arbres ! » Je posai le félin sur la terrasse et ramassai le livre qui s'ouvrit entre mes mains.
Posant machinalement le regard sur la page mise au jour, je lis alors ces mots qui résonnèrent comme un signe ... « Je m'aime »

Je m'aime ... ça ne voulait pas dire grand chose pour moi ... « Je me tolère, je me supporte, mais ça ne va pas plus loin » soupirais-je.
Je posai l'ouvrage sur le lit et revins vers le miroir.

Je ne sais ce qui me poussa, j'articulai doucement « je m'aime » en me regardant fixement dans les yeux. J'eus l'air surprise, décontenancée. Et je répétai ... « je m'aime » ... Il se passait quelque chose dans mon corps, un mélange de malaise et de peur ... « je m'aime »
Ebranlée et tremblante, je sentis au fond de moi comme un mur qui s'écroule, de lourdes briques qui se descellent et qui tombent, une secousse sismique qui me submergea ...

Je ne sais combien de temps je suis restée là face au miroir. Le coq ne chantait plus et le soleil courait sur le lit après la queue du chat qui était revenu. Je regardai autour de moi, j'avais l'impression que tout était différent. Je me sentais légère, comme emplie d'air frais. Fatiguée aussi. La couette me tendait les bras, je m'y suis lovée et j'ai fermé les yeux.

Lorsque je me suis réveillée, il faisait calme dans la maison, je suis restée allongée, je me sentais mieux que je ne m'étais sentie ces dernières semaines, et même bien plus avant. Je sentais quelque chose de nouveau. Une porte était fermée et tout s'était mis en place pour que j'en aie la clé.

Je prenais aussi conscience que la vie m'offrait une chance, je pouvais vivre encore mieux avec mon mari, en ne me préoccupant plus de ce que j'imaginais être des dangers.

Je pris ce jour-là une grande décision. Ce « je m'aime » allait devenir ma promesse, ma devise, ma résolution. Je continuerai à me regarder dans le miroir et j'apprendrai la confiance et la sérénité.

C'est à ce moment là que, dans les films, on apprend que la voisine déménage, qu'elle se marie ou tombe amoureuse de la boulangère. Et bien non, ! Eglantine est toujours là mais elle n'a plus d'importance, ma nouvelle confiance en moi me donne le pas et le coeur légers. Je m'aime et quoiqu'il advienne j'ai trouvé la clé du bonheur. Et si un jour mon mari trouve qu'une autre fleur serait mieux que moi dans son jardin, je le gérerai au mieux.

Quelques semaines plus tard, croisant Eglantine accompagnée d'un grand brun au regard gris acier, je vis sur son visage les signaux de la peur et de la jalousie alors qu'elle tirait son compagnon par la manche en accélérant le pas.
Je ne pus m'empêcher de sourire ....