Claire
Le gsm de Paul vibre sur le siège passager. Il se gare pour lire le message et frémit.
« Viens vite je suis en danger ! »
Claire ... Paul soupire. Depuis quelques jours leur relation s'est distendue. Il ne ressent plus l'excitation du début, il commence à s'ennuyer et sa jeune maîtresse l'a senti. Plusieurs fois elle a voulu ranimer la flamme en lui proposant des sorties originales ou en achetant de nouveaux sous-vêtements. Mais cela ne suffit plus, Paul commence déjà à regarder les autres filles. Comme on fait son marché, il évalue, estime, compare. Dans peu de temps il quittera Claire pour plonger avec délices dans de nouveaux bras.
- Elle a certainement inventé tout ça pour me reconquérir. Il sourit. Cruel et insensible.
Un autre message. Il n'arrête plus la voiture. D'un oeil il lit.
« Au secours ! Elle arrive !!! »
De qui parle-t-elle ? Paul en a assez et décide de rejoindre la jeune femme pour lui dire qu'entre eux tout est définitivement terminé. Il sait comment faire, il a de l'entraînement. Il prendra son air de chien battu, lui dira que le coeur ne se commande pas, qu'elle est merveilleuse, mais qu'il va se consacrer à sa femme qui est si fragile Claire pleurera, suppliera, il consolera et lui souhaitera tout le bonheur du monde, il lui dira même qu'en s'arrangeant un peu elle pourra rencontrer l'homme de sa vie.. Ca marchait toujours. Il la laissera anéantie, doutant d'elle-même, perdue. Un dernier baiser mouillé des larmes qu'il savait faire couler à la demande et il s'en ira, libéré et fier de lui.
- Allo ?
Il a décroché après une longue hésitation. Elle exagère ! a-t-il grommelé avant d'appuyer sur la touche verte du téléphone.
- Allo !!!
Sa voix trahit son énervement, il faut qu'il se modère s'il veut avoir l'air malheureux lorsqu'il sera face à elle. Pour toute réponse il entend des bruits de portes qui claquent, de course dans l'escalier, le souffle court de la peur, des gémissements.
- Claire ?
La communication s'interrompt sur un vacarme assourdissant.
La peur s'infiltre en lui.
« Où es tu ? » lui envoie-t-il
Et si elle était réellement en danger ? Il ne pouvait prendre le risque. Il fallait qu'il sache.
« Ton hangar quai vite ! » Ces quelques mots font grimper l'adrénaline de Paul.
Il appelle , elle décroche
- Paul, viens ! Elle murmure en sanglotant. Elle est là !! Oh nooon !!!!!!
Le clac de la fin de la communication tombe comme un couperet.
Il fonce à toute allure vers le hangar à bateaux qu'il loue le long de la rade, cet ancien bâtiment dans lequel il a installé une garçonnière, bien pratique pour amener ses conquêtes.
La nuit est tombée et le ciel sans lune enveloppe le quai d'un manteau opaque. Il n'y a pas un chat à cette heure, seul son hangar semble vivant, des lueurs vacillantes s'échappant par les petites fenêtres de l'étage.
Il pousse la lourde porte entrouverte et appuie sur l'interrupteur. Plus de courant
- Merde ! dit-il tout bas.
Il entend alors un bruit de chaînes et court vers l'escalier. Il connaît le trajet par coeur et évite les obstacles. Arrivé en haut il retient sa respiration pour détecter l'origine du bruit. Puis il fait une grimace. Il y a comme une odeur de sang. Son coeur s'affole. Il attrape un vase en pierre bleue et le vide de ses fleurs.
Il fait un pas quand une main s'agrippe à sa jambe. A ses pieds, Claire, le visage et les cheveux couverts de sang.
- Paul, fais attention, elle est dangereuse.
La jeune femme hoquette. Il l'aide à se relever et la soutient. Elle tremble contre lui, ses jambes flageolent. De l'index elle indique la chambre.
- Elle est là.
Il pousse lentement la porte. Il n'en mène pas large. Il n'a jamais eu affaire à un tueur. La pièce est dans le noir, seule une bougie brille près de la fenêtre. Il distingue les contours des meubles et, oui, au milieu, devant le lit, une silhouette.
A ce moment tout s'accélère.
Claire hurle :
- Elle bouge !
Il sent un revolver dans sa main et Claire qui pousse son bras vers l'intruse.
Elle respire fort et s'accroche à lui, ses ongles dans la peau de Paul qui se contracte.
- Tire ! Elle va me tuer !!!
La voix de Claire, terrifiée, atteint Paul en plein coeur. Sans réfléchir il prend le revolver que la jeune femme lui tend et fait feu. En pleine tête. La femme n'a pas eu le temps de réagir. Elle s'est écroulée à ses pieds.
C'est là qu'il la reconnaît.
Cette femme, sa femme.
Dans ses yeux encore ouverts il lit l'incompréhension.
Claire, très calme à présent, s'assied sur le lit et remet ses cheveux en place.
- Bravo mon coeur, tu l'as eue du premier coup.
Il ne reconnaît pas sa voix. Elle a perdu toute sa douceur et sa sensualité.
Abruti, son regard passe d'une femme à l'autre. Il ne comprend pas.
Que faisait sa femme dans son hangar, elle n'en connaissait pas l'existence. Et pourquoi voulait elle tuer Claire ? Sa femme était pacifique. Si elle avait appris l'existence d'une maîtresse, elle serait partie, sans esclandre, sans violence aucune.
Il regarde ce corps qu'il connaît si bien et remarque un papier dans la main. Il se penche et le déplie : « Viens me retrouver au hangar numéro 9, quai 36, près de la halle aux poissons. Je t'aime , ton Paul pour toujours «
Il voit alors la corde qui enserre les poignets, le sparadrap sur la bouche, la chaîne qui lie les chevilles.
Il relève les yeux vers Claire.
- Plus rien ne nous sépare, dit elle en lui souriant, triomphale.
Elle lui indique alors un grand coffre, lui ordonne d'y déposer le corps et de le jeter à l'eau. Il a un instant d'hésitation.
- Tu n'as pas le choix, tu l'as tuée, tu es un criminel. Soit tu m'obéis, soit tu passes le reste de ta vie en prison.
Son visage est redevenu rose et innocent depuis qu'elle l'a nettoyé avec des lingettes. Ne restent que les traces rouges dans ses cheveux blonds..
-D'où vient ce sang ?
C'est la seule question qui vient à l'esprit de Paul..
- Oh ça ! Claire rit. C'est celui de ton chien, elle a eu la merveilleuse idée de venir avec lui.
A l'aube, ils sortent sur le quai.
Le soleil de septembre auréole les cheveux de Claire d'une lueur angélique. Dans sa main celle de Paul se fait fuyante et menace de glisser hors de son emprise. Elle serre plus fort et le fusille du regard.
- Tu es à moi, susurre-t-elle avec un sourire victorieux.